La Galerie Virtuelle reçoit Laura Berson, photographe, auteur d’une série engagée Ici et maintenant. Elle nous en raconte le cheminement, depuis l’idée jusqu’à l’exposition.
L.G.V. : Laura, tu as exposé tout au long des mois de décembre et janvier à la Maison de la Mixité à Paris, aux côtés de l’association Ni Putes Ni soumises, une série photo intitulée Ici et Maintenant. Inaugurée le 25 novembre, jour de lutte contre les violences faites aux femmes, Ici et Maintenant propose à travers une trentaine de portraits de femmes et de fillettes, une transposition, dans notre société occidentale, de ce que serait la vente d’êtres humains, comme la pratique l’EI au proche orient.
Les portraits sont tous réalisés sous le même mode : un fond noir, vêtues d’un simple tee-shirt noir, ces femmes portent toutes autour du cou une ardoise sur laquelle figure un prix, de temps en temps un mot. Leur visage est grave, exprimant un sentiment de tristesse, d’affliction, de désespoir, de colère ou d’incompréhension…
Laura, tu signes une série engagée et forte. Est-ce une première dans ton travail ? As-tu déjà signé des reportages dénonçant une actualité brulante ?
L.B. : Non, c’est la première mais certainement pas la dernière fois.
L.G.V. : Qu’est ce qui t’a amené à réaliser cette série ?
L.B. : En octobre 2014, j’étais tombée sur un premier article sur les femmes vendues en tant qu’esclaves en Irak et Syrie. Cela m’avait choqué une première fois, même si cette pratique n’est pas une nouveauté. Puis, début janvier 2015, j’ai pris connaissance dans un document effroyable de l’agence de presse irakienne Iraqinews (relatée par le Parisien) des prix auxquels étaient et sont encore vendues les victimes Yézidies ou chrétiennes réduites à l’esclavage. La nouveauté pour moi résidait dans le fait que le prix de vente de ces femmes était rendu public, officiel, écrit noir sur blanc. Comme si nous étions devant un catalogue d’achat de type La Redoute, sauf que les articles ne sont pas des vêtements ou des meubles, mais des femmes de tous âges. Les femmes sont vendues avec un «manuel» de trente-quatre pages sur le viol élaboré, comme une notice d’achat d’un produit. C’est facile à imaginer pour un objet, beaucoup moins pour un être humain. Cette instrumentalisation m’a profondément choquée, révoltée.
L.G.V. : Qui sont les femmes qui posent pour toi ?
L.B. : Des femmes qui, elles aussi, se sentent concernées par cette horreur, des femmes engagées, ou qui avaient envie de s’exprimer sur le sujet. Il fallait que je puisse représenter des femmes de toute catégorie d’âge, j’ai donc également utilisé le bouche à oreille.
L.G.V. : Ont-elles accepté facilement ?
L.B. : Oui, elles ont accepté facilement. Elles étaient toutes volontaires et se sentaient impliquées, dans le désir d’agir, ou plutôt de parler. C’était leur seule et unique motivation. Une seule a finalement renoncé une fois qu’elle a eu un peu plus d’éléments sur la réalisation du projet.
L.G.V. : Leur expression de peine intense ne doit pas être facile à obtenir…. Le sujet par lui-même était-il seul suffisant ?
L. B. : C’est un thème fort par lui seul. Mais il fallait que j’obtienne de mes modèles qu’elles lâchent prise, qu’elles s’abandonnent et cela est possible seulement dans certaines conditions. Je ne voulais surtout pas savoir à l’avance ce que chaque personne ressentait, pour toucher au plus vrai l’émotion unique de chacune.
Lors des séances de shooting, rien que le fait de revêtir l’ardoise autour du cou pouvait être suffisant à faire surgir cette émotion contenue. Puis la lumière et la musique choisies, le dialogue qui s’instaurait entre nous ont fait le reste. Certaines se sont effondrées, d’autres ont manifesté leur émotion d’une manière plus contenue, introvertie. Mais la façon dont j’ai amené chacune à exprimer son bouleversement n’a jamais été calculé, cela a été un travail à chaque fois différent …et bouleversant.
L.G.V. : Quel était ton discours pour les plus jeunes par rapport aux faits ?
L. B. : Il était bien sûr très différent. J’ai soigneusement évité certain mots comme « esclavage ». Leurs parents avaient pris soin, avec leurs propres mots, de leur expliquer le contexte de leur présence ici. Puis mon discours s’en tenait, après avoir recueilli l’accord des petites ou jeunes filles, à évoquer le mal fait aux enfants dans certains pays.
Ce qui est certain, c’est que dès que ces enfants avaient l’ardoise autour du cou, ils étaient très mal à l’aise. Cela est également vrai pour les moins de 20 ans. Elles ne savaient pas me dire ce qu’elles ressentaient. « Ça ne se fait pas » était une phrase qui revenait sans cesse.
L.G.V. : Une angoisse, une peur a-t-elle accompagné cette réalisation ?
L. B. : Oui, au tout début, une forte angoisse, lorsque j’ai décidé de réaliser ce projet. A chaque shooting, la violence de mes sentiments me secouait. C’était comme un exutoire et je me sentais encore plus mal à l’idée de ne rien faire. Le fait d’agir, d’être dans le concret dissipait la violence de mes émotions. Je me sentais moins impuissante.
Puis l’exposition a été programmée pour novembre 2015 avec l’association Ni Putes Ni soumises, et se sont passés les événements parisiens atroces que l’ont connait. Cela a été très dur à l’idée d’abandonner le projet, de laisser tomber l’exposition. Puis nous avons décidé, avec l’association, de la maintenir en y apportant quelques aménagements, en l’occurrence la privatisation de la soirée d’inauguration. La détermination l’a emporté sur l’angoisse ou la peur.
L.G.V. : Comment l’exposition a-t-elle été accueillie ?
L. B. : Bien. Avec beaucoup d’émotion. C’est ce que m’ont dit la plupart des personnes venues voir l’exposition. Beaucoup de femmes se sont identifiées à ces portraits.
Et puis, certains avaient été directement touché par la perte de proches lors des attentats… ils étaient d’autant plus émus.
L.G.V. : Des projets pour Ici et maintenant en 2016 ?
L.B. : Oui, il est probable que l’exposition soit montrée ailleurs, mais rien n’est confirmé pour le moment.
L.G.V. : D’autres projets photo ?
L.B. : Oui, beaucoup ! Notamment avec une série humoristique sur le bonheur ! De la musique aussi… comme un besoin de décompresser ?!
L.G.V. : Laura, merci beaucoup !
Nous en profitons pour rappeler que Laura Berson est également l’auteur de la série de photographie en édition limitée Salar, présentée sur La Galerie Virtuelle.